Port-Vendres en pleine crise PDF Imprimer Envoyer
Lundi, 10 Octobre 2011 13:00

La pêche artisanale a-t-elle encore un avenir?

Le magazine du conseil général « L’accent catalan » de mai 2010, spécial "Méditerranée", a consacré quelques lignes optimistes au métier de pêcheur "ancestral et en pleine évolution". Il prédit un avenir radieux à la pêche professionnelle qui génèrerait à Port-Vendres "200 emplois  directs dont 140 liés à la pêche et 60 à l’activité mareyage". Sa flottille totaliserait 20 unités de pêche : quatre chalutiers, quatre lamparos (plus 5 à venir en 2010), six  thoniers (en sursis), six petits métiers.

Pour les marins-pêcheurs du quartier de Port-Vendres, le constat est amer. Ils n’espèrent plus des lendemains qui chantent et c’est en vain qu’à la lumière des lamparos, ils ont  cherché ces  prétendus emplois. Des bateaux de pêche ont pris le large, les apports en criée ont chuté de façon spectaculaire et, pour l’année 2009, Port-Vendres est à l’avant-dernier rang du classement des criées françaises  pour la  valeur de ses apports débarqués!

Au fil de l’eau et du temps qui passe, la flottille s’est amenuisée.

On pensait que le chalutier le "Sailfort" était solidement ancré à Port-Vendres comme la montagne dont il porte le nom. Hélas, il a été vendu et n’accostera plus sur le quai  du vieux port! Il a largué ses amarres et mis le cap sur son nouveau port d’attache en Atlantique.

Il ne reste plus que deux chalutiers immatriculés à Port-Vendres : le "Maria-José Gabriel", 25 m de long, et un plus petit, 20 m, le "Michel". À eux deux, ils emploient dix matelots au plus.

Sur les quatre lamparos recensés, deux d’entre eux traquent essentiellement le poisson blanc, daurades et  marbrés, aux abords des plages. Les cinq lamparos attendus ne sont pas encore arrivés à bon port fin 2010. Perdus en mer, sont-ils des bateaux-fantômes en  errance?

Les thoniers amarrés, quai de la République, ne seront plus que quatre. Deux patrons-thoniers de Port-Vendres ont choisi la prime à la casse pour ne pas être soumis aux quotas imposés par l’union européenne pour  la préservation du thon rouge et échapper à la présence  d’un contrôleur à bord.

Pour les "petits métiers", dont le rayon de pêche est limité à 3 miles marin, on  compte une dizaine d’embarcations de moins de 10 m. Chaque patron-pêcheur vend son poisson à l’étal de son port d’amarrage et apporte ses invendus à la criée. Le propriétaire du "Michel" a son éventaire à Saint-Cyprien où il réside mais il restitue l’excédent de sa pêche à la seule criée du département, celle de Port-Vendres. Sur les quais, ces artisans de la mer présentent à l’étalage leurs prises du jour, pour le bonheur de la clientèle qui apprécie ce poisson fraîchement pêché et vendu à un prix raisonnable. Les quais s’animent le matin avec les petits métiers qui

 

s’installent derrière leur table et à 16 h dès l’arrivée du chalutier « Maria-José Gabriel ».

La criée somnole et les pêcheurs sont au creux de la vague

Fécamp a déclaré la mise en cessation de paiement de sa criée en  septembre 2010 : trop de dettes et pas assez de trésorerie pour payer ses propres salariés et les apports des pêcheurs.

Celle de Port-Vendres va-t-elle subir le même sort? Dans le classement des criées françaises pour 2009, son rang est alarmant, 37ème sur 38 pour la valeur de ses apports débarqués : 2,2 millions d’euros alors que Port la Nouvelle annonce 8 millions et  Sète 16 millions ! Pour le tonnage, la criée de Port-Vendres ne fait guère mieux, 33ème sur 38 avec seulement 1175 tonnes! C’est trois fois moins qu’à Port-la-Nouvelle.

Les pêcheurs de Port-Vendres n’apprécient pas le fonctionnement de leur criée et la délaissent. Le prix qui leur est offert pour la livraison de leurs poissons est trop bas pour leur permettre de vivre décemment. Lorsque la criée de Port-Vendres achète à 0,55 € le kilo de sardine, elle le revend 2 €  et quand elle accorde aux  pêcheurs 3 € pour la livraison d’un kilo de poissons, à  Port-la-Nouvelle, la criée  leur en offre deux fois plus! Pour que leur famille puisse joindre les deux bouts, de nombreux pêcheurs apportent leurs poissons à la criée de Port-la-Nouvelle qui pratique des prix équitables. Sa gestion est aux mains de pêcheurs professionnels et de la CCI* de l’Aude pour une plus petite part tandis que la criée de Port-Vendres ne dépend que de la CCI de son département.

À l’évidence la criée de nos voisins audois est mieux administrée.

La loi du marché et la mondialisation du commerce se sont glissées entre les mailles des filets, sans qu’on y prenne garde…

Il y quelques décennies, la pêche à Port-Vendres était un secteur florissant qui rayonnait jusqu’à Sète et même jusqu’à Marseille. Une dizaine de chalutiers et une cinquantaine de lamparos mouillaient dans le port. Dans la salle de vente de la criée, une trentaine de mareyeurs et poissonniers s’affairaient au moment des enchères et les pêcheurs s’activaient tout  autant. Grâce au grand  nombre d'acheteurs et de vendeurs,  la concurrence jouait et la loi de l'offre et de la demande permettait d’ajuster les prix. Mais aujourd’hui, malgré leur faible effectif, le groupe des 3 ou 4 mareyeurs est en position dominante et manifestement, ils doivent s’entendre sur les prix qu’ils vont proposer. Les pêcheurs, en l'absence de syndicats ou de groupes de pression qui pourraient les soutenir, n’arrivent pas à s’imposer pour exiger  le juste prix et fixer un prix plancher pour leurs apports en criée.

Autrefois, un syndicat de pêcheurs, très efficace, édictait quelques règles à suivre par tous les pêcheurs. Mais par la suite, ce syndicat s’est sabordé, quelques empêcheurs de tourner en rond désirant agir à leur guise.

 

Aujourd’hui encore, l’entente cordiale ne règne pas entre les pêcheurs de Port-Vendres. Ce "chacun pour soi" est dommageable pour une gestion régulée de leur criée et pour la sauvegarde de la pêche à Port-Vendres.

Petit à petit, avec les effets de la mondialisation du commerce et l’arrivée de l’aquaculture, le poisson sauvage a été torpillé par le poisson "élevé" en Grèce, en Norvège, en Tanzanie ou ailleurs.

Dans ces fermes d’élevage, les poissons sont nourris à coup de lancers de granulés que l’on fabrique dans les "minoteries" à partir  de  farines et d’huiles animales.

Les poissonneries et les grandes surfaces ont fait la promotion de ces poissons bon marché et les industries de transformation ont élaboré des filets de poisson sans arêtes dont la chair facile à cuire avait tout pour plaire à une nouvelle génération de consommateurs peu enclins à perdre leur temps à cuisiner.

Du poisson il y en a, disent les pêcheurs. Mais quand on espère sa venue avec impatience, il est ailleurs, on ne sait où et quand on ne l’attend plus, il est au rendez-vous sur les lieux de pêche !

Du poisson, il n'y en aura pas toujours « prétend  en revanche le rapport des Nations Unies pour l'environnement… Il prédit même l'effondrement de la pêche commerciale d'ici à 2 050 si des mesures d'urgence ne sont pas prises pour restructurer le secteur : renforcer les quotas, favoriser les flottes plus petites que celles qui épuisent les mers du monde actuellement,  créér  des zones maritimes protégées, telles sont les mesures phares. »

Pour l’élaboration de la zone marine protégée de Port-Vendres, les pêcheurs sont étonnés d’apprendre que « les acteurs locaux devaient prendre en main l’avenir de leur territoire maritime pour construire les orientations du futur parc avec la mission parc marin en Côte Vermeille ». (2)

Si la pêche professionnelle a été représentée, aucune information n’a été transmise aux pêcheurs de Port-Vendres ou insuffisamment puisqu’ils n’ont pas eu leur mot à dire et ne se sont pas exprimés pendant le déroulement de l’enquête publique qui a été clôturée le 21 septembre 2010.

Le métier de pêcheur va-t-il sombrer avec la criée ?

À Port-Vendres, les professionnels de la mer le redoutent et ceux de Port la Nouvelle, pourtant mieux lotis, le confirment : « Entre les stocks de pêche annoncés en baisse inexorable, la flambée du prix des carburants et ceux du poisson soumis au yo-yo des salles de vente à la criée, la pêche a-t-elle encore un avenir?…

Le métier n'est plus rentable. Aujourd'hui ce sont les intermédiaires qui prennent les marges… « On travaille trois ou quatre jours rien que pour couvrir les frais. La pêche se porte mal, et les chalutiers sont les premiers touchés. Même


détaxé, le gasoil constitue le poste budgétaire le plus important pour les chalutiers». (1)

Par journée de sortie en mer, un chalutier consomme  au minimum 1000 litres de carburant. À Port-Vendres, le litre de gasoil est à 0,55 € et, en tenant compte des jours de repos, le patron pêcheur doit débourser par semaine au moins 3000 € !

Sans oublier les taxes qui accablent déjà le monde de la pêche : celles de la criée et les  250 € que payeront tous les ans à partir de 2011 les petits métiers pour le droit de place de leur bateau, s’ils  ne livrent pas leurs poissons à la criée ! Heureusement l’étal reste gratuit !  Et que dire de « la pêche illégale et des quotas non respectés et non sanctionnés qui se font au détriment de ceux qui respectent la règlementation ?

L'industrie de transformation s'appuie essentiellement sur des produits d'importation et non sur les produits de la pêche artisanale! » Est-ce la raison pour laquelle l’Europe aurait pris des mesures qui vont à l’encontre de ses pêcheurs ? «Alors que cette année les ventes en criée souffrent de plus en plus de la concurrence des produits importés à bas coût, le Conseil de l'Union européenne vient de lever les barrières douanières sur le poisson d’importation et cette réglementation s’appliquera également aux produits de la mer qui seront transformés en Union Européenne : le merlu  mais aussi le surimi congelé ou le  hareng en saumure… » (3)

Le ministre de la Pêche, Bruno Le Maire, a répondu aux inquiétudes des pêcheurs. Ses promesses ? Lutter contre la pêche illégale, favoriser le poisson de nos côtes, empêcher la concurrence déloyale des produits importés pour l’industrie de transformation. (3)

Une question de survie  pour la pêche professionnelle

Les patrons de chalutiers et les petits métiers de Port-Vendres refusent d’être engloutis avec la criée. Ils veulent garder la tête froide mais hors de l’eau en  continuant la vente à l’étal de leurs poissons, au  bord du quai et sans  bourse délier. Ce «droit de la pierre du quai», fut accordé par Colbert aux pêcheurs qui souhaitaient écouler leurs poissons en petite quantité sans passer par une criée officielle. Aujourd'hui, cette tolérance subsiste, avec les mêmes principes qu'au XVIIe siècle. Elle est une garantie pour l'acheteur d'avoir un poisson du jour en retour de marée.

Si la criée de Port-Vendres venait à fermer, les pêcheurs du littoral catalan, de Cerbère au Barcarès, d’un commun accord, demanderont qu’un camion réfrigéré soit mis à leur disposition pour la collecte de leur  pêche du jour et son transport jusqu’à la criée de Port la Nouvelle.

Le Président de la CCI des Pyrénées-Orientales et le responsable de la criée de l’Aude s’en chargeront, ils n’en doutent pas.

*CCI : la Chambre de Commerce et d’Industrie

 

(1)  D’après les « Infortunes de mer publié le 25/05/2010 08:01 / Port-la-Nouvelle/article de Jean-Louis  Dubois-Chabert de la Dépêche du Midi.

http://www.ladepeche.fr/article/2010/05/25/842187-Infortunes-de-mer.html

(2)  La mission d'étude pour la création d'un parc naturel marin sur la Côte Vermeille.

http://www.mission-cote-vermeille.parc-naturel-marin.fr/

(3) D’après le site  http://aquaculture-aquablog.blogspot.com/2009/11/en-pleine-crise-de-la-peche-Europe.html

Selon un article de Seafoodsource, le Conseil de l’UE a fixé le 26/10/2009 un échéancier pour la réduction ou l’élimination des tarifs douaniers sur l’importation de produits aquatiques, à compter du 01/01/2010 sur une période allant jusqu'au 31/12/2012.

Association « Port-Vendres-Nature-Environnement »                                

Mise à jour le Lundi, 10 Octobre 2011 19:15
 

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